dimanche 31 août 2008

LES AMOUREUX DE LA BONNE CUISINE... ET LES AUTRES...


BOHUMIL HRABAL A ÉCRIT :

...et le général de commander un café turc en affirmant, la main sur le cœur, qu'il lui était absolument interdit de boire un café aussi fort, puis il en redemanda un autre et, pour terminer, il soupira que comme dernier souhait avant de mourir, une poularde rôtie ferait bien l'affaire...déjà le patron donnait un coup de sifflet en s'inclinant, et aussitôt le chef parut sur le seuil, frais comme un gardon sous sa toque blanche, en un tournemain il apporta la bête entière dans son plat de cuisson et, à cette vue, le général tomba la veste, ouvrit son col de chemise en soupirant à fendre l'âme que la volaille lui était strictement interdite, puis il déchira carrément la poularde en deux et l'attaqua à belles dents, toujours se lamentant sur son état de santé, sur le régime qu'on prétendait lui faire suivre, et déclarant aussi qu'il n'avait encore jamais mangé quelque chose d'aussi répugnant- sur quoi Zdenek lui fit remarquer qu'en Espagne on servait du champagne avec un plat de poulet et que, par conséquent, un La Corduna serait tout indiqué, le général était tout à fait d'accord, il s'en versait maintenant de bonnes rasades entre deux bouchées qu'il engloutissait en faisant la grimace et en maugréant: diesen Poulard und auch diesen Champagner kann man nicht essen, nicht trinken...à quatre heures du matin, apparemment soulagé d'un lourd fardeau à force de gémir et de se lamenter, il réclama l'addition, elle était déjà prête et le maître d'hôtel la lui présenta discrètement entre les plis d'une serviette damassée sur une soucoupe d'argent...


B. HRABAL, Moi qui ai servi le roi d'Angleterre, 1971.

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