jeudi 11 septembre 2008

LES AMOUREUX DE LA BONNE CUISINE... ET LES AUTRES...


RYSZARD KAPUŚCIŃSKI A ÉCRIT:

Dans le village d'Abdallah Wallo, les jeunes filles sont les premières à se lever. Dès l'aube, elles vont chercher l'eau. C'est un village heureux, car l'eau est proche...
Une fois descendue au fleuve, les jeunes filles remplissent d'eau de hauts baquets en métal et des seaux en plastique qu'elles se posent ensuite mutuellement sur la tête. Puis elles escaladent le talus friable tout en causant et rentrent au village. Le soleil se lève et ses rayons scintillent à la surface des récipients. L'eau tremble, tangue et miroite comme de l'argenterie.

Elles regagnent maintenant leur maison, leur cour...

La résonance des récipients posés par terre et le clapotis de l'eau font l'effet de la cloche dans une petite église campagnarde: ils réveillent tout le monde. Des cases, car ici il n'y a que des cases, sortent des nuées d'enfants. Les gamins, il y en a ici en pagaille, comme si le village était un immense jardin d'enfants. A peine ont-ils franchi le seuil qu'ils font leur pipi du matin, instinctivement, n'importe où, à droite et à gauche, insouciants et joyeux, ou endormis et bougons. Soulagés, ils se précipitent sur les seaux et les baquets pour boire. Au passage, les fillettes, et seulement elles, se débarbouillent le visage. Cela ne viendrait pas à l'esprit des garçons. Puis les enfants cherchent des yeux un petit déjeuner. C'est du moins ce que je me dis, mais en réalité la notion de petit déjeuner ici n'existe pas. Si l'un des gamins a de quoi manger, il mange. Cela peut être un morceau de pain ou de biscuit, un bout de manioc ou de banane. Jamais il ne mangera sa portion tout seul, car les enfants partagent tout. Généralement l'aîné du groupe s'efforce de faire un partage équitable, même si chacun ne récupère que des miettes. Le reste de la journée ne sera plus qu'une quête permanente de la nourriture. Car ces enfants sont constamment affamés. A tout moment, à chaque instant,ils engloutissent tout ce qu'on leur donne et se remettent aussitôt à chercher des yeux l'occasion suivante.


"Une journée au village d'Abdallah Wallo"
R. KAPUSCINSKI, Ébène, 1998.


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