jeudi 19 février 2009

LES AMOUREUX DE LA BONNE CUISINE... ET LES AUTRES...


ÉMILE ZOLA A ÉCRIT:


bbbbb... La belle Lisa resta debout dans son comptoir, la tête un peu tournée du côté des Halles; et Florent la contemplait, muet, étonné de la trouver si belle. Il l'avait mal vue jusque-là, il ne savait pas regarder les femmes. Elle lui apparaissait au-dessus des viandes du comptoir. Devant elle, s'étalaient, dans des plats de porcelaine blanche, les saucissons d'Arles et de Lyon entamés, les langues et les morceaux de petit salé cuits à l'eau, la tête de cochon noyée de gelée, un pot de rillettes ouvert et une boîte de sardines dont le métal crevé montrait un lac d'huile; puis, à droite et à gauche, sur des planches, des pains de fromage d'Italie et de fromage de cochon, un jambon ordinaire d'un rose pâle, un jambon d'York à la chair saignante, sous une large bande de graisse. Et il y avait encore des plats ronds et ovales, les plats de la langue fourrée, de la galantine truffée, de la hure aux pistaches; tandis que, tout près d'elle, sous sa main, étaient le veau piqué, le pâté de foie, le pâté de lièvre, dans des terrines jaunes. Comme Gavard ne venait pas, elle rangea le lard de poitrine sur la petite étagère de marbre, au bout du comptoir; elle aligna le pot de saindoux et le pot de graisse de rôti, essuya les plateaux des deux balances de melchior, tâta l'étuve dont le réchaud mourait; et, silencieuse, elle tourna la tête de nouveau, elle se remit à regarder au fond des Halles. Le fumet des viandes montait, elle était comme prise, dans sa paix lourde, par l'odeur des truffes. Ce jour-là, elle avait une fraîcheur superbe; la blancheur de son tablier et de ses manches continuait la blancheur des plats, jusqu'à son cou gras, à ses joues rosées, où revivaient les tons tendres des jambons et les pâleurs des graisses transparentes. Intimidé à mesure qu'il la regardait, inquiété par cette carrure correcte, Florent finit par l'examiner à la dérobée, dans les glaces, autour de la boutique. Elle s'y reflétait de dos, de face, de côté; même au plafond, il la retrouvait, la tête en bas, avec son chignon serré, ses minces bandeaux, collés sur les tempes. C'était toute une foule de Lisa, montrant la largeur des épaules, l'emmanchement puissant des bras, la poitrine arrondie, si muette et si tendue, qu'elle n'éveillait aucune pensée charnelle et qu'elle ressemblait à un ventre. Il s'arrêta, il se plut surtout à un de ses profils, qu'il avait dans une glace, à côté de lui, entre deux moitiés de porcs. Tout le long des marbres et des glaces, accrochés aux barres à dents de loup, des porcs et des bandes de lard à piquer pendaient; et le profil de Lisa, avec sa forte encolure, ses lignes rondes, sa gorge qui avançait, mettait une effigie de reine empâtée, au milieu de ce lard et de ces chairs crues. Puis, la belle charcutière se pencha, sourit d'une façon amicale aux deux poissons rouges qui nageaient dans l'aquarium de l'étalage, continuellement.

Le ventre de Paris, 1873

6 commentaires:

colibri a dit…

J4ai habité à côté une dizaine d'années, mais le ventre venait d'être vidé, laissant un trou béant où se tournèrent quelques films, même un western délirant ("touche pas à la femme blanche") ! Pour le revoir comme décrit par Zola, il y a aussi ce beau film en noir et blanc, de Marc Allégret, je crois, "le temps des assassins", avec Danielle Delorme et Gérard Blain, magnifiques, elle de perversion, lui de fragilité. Sans oublier Gabin... Bonne journée, Henriette !

Odile a dit…

Ah relire Zola ! On ne s'en lasse pas. Merci Henriette de nous le remettre en mémoire.

Lulu Sorcière a dit…

Qu'il dirige un accouchement, une locomotive, la mine de charbon ou un estomac Zola est un chef d'orchestre, orfèvre en chaque instrument !
Henriette tes p'tits roulés de dinde au chèvre frais et au jambon de bayonne...hmmmmmmmmmm... je n'ai pas le talent d'Emile pour les raconter, mais ils étaient aussi jolis que sur ta photo et dé-li-cieux !

flo et mimolette a dit…

et bien moi je ne connaissais pas ce que je viens de lire. merci marie-henriette pour se bon moment. J'ai beaucoup aimé.
merci pour votre message et à bientôt, par écrans interposés ;-)
flo et mimolette (qui s'endort presque debout devant sa chatière comme si elle attendait quelqu'un... ;-))

Henriette a dit…

Mimolette attend peut être mon chat Martin ou son double: Zébulon de Colibri, ou un des 3 chats d'Odile ou un Sacré de Birmanie de Lulu ?
Qui a dit que les animaux ont un sixième sens?
Bienvenue au club Mimolette!

Mammazan a dit…

Che meraviglia questo racconto con delle descrizioni così....succulente e romantiche!!
Grazie per avercelo fatto conoscere!!!

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