lundi 8 décembre 2008

LES AMOUREUX DE LA BONNE CUISINE... ET LES AUTRES...



ALEXANDRE DUMAS A ÉCRIT:



J'entrai dans la cuisine pour voir un peu quelles espèces de choses on allait nous mettre sur ces assiettes historiques.
Alors, madame, je fus frappé d'un tableau touchant, et qui me rappela, à quelques détails près, les anciens patriarches.
Dans la salle précédant la cuisine, à l'odeur des côtelettes qui rôtissaient, le maître de la maison dansait gravement avec sa servante, aussi grave que lui, le fandango national, dans ce que le fandango a de plus simple et de plus honnête ; la voûte de la salle était toute constellée de magnifiques grenades pendues au plafond avec des ficelles, et destinées à être mangées à la venue de la bise, si toutefois la bise vient jamais à Grenade. Une vaste cheminée, avec un feu sur lequel bouillait un puchero, décorait hospitalièrement cette salle ; auprès de ce feu, la maîtresse du cabaret, tout en berçant un petit chérubin andalou qui dormait sur son sein, regardait, le sourire sur les lèvres, la danse de son mari et de sa servante. Un bruit cadencé de castagnettes accompagnait cette scène, et un grand rayon de soleil, qui entrait hardiment par la porte, traversait la danse, et allait faire cligner de l'oeil un magnifique chat blanc qui faisait béatement sa sieste.
Vous comprenez que lorsque je parus la danse s'interrompit ; mais sur un signe auquel mon ignorance de la langue espagnole ne me permettait pas de joindre une intonation satisfaisante, la danse recommença. Mes amis, prévenus par un mouvement de tête, s'approchèrent alors à leur tour, et restèrent, ainsi que moi, quelque temps occupés à contempler cette scène de famille, si commune dans le pays qu'il fallait être étranger pour y faire attention. Enfin, ce fut la servante, la première, qui, honteuse, quitta la partie, moitié riant, moitié rougissant, et son maître, resté seul, nous salua tout en détachant ses castagnettes et en s'étonnant du plaisir que nous paraissions prendre à une chose qui lui paraissait une occupation naturelle à tout être intelligent.
Couturier nous regarda en proférant un de ces « heim ? » qui veulent dire : vous ne vous attendiez pas à cela, n'est-ce pas ? puis, comme la servante avait profité de l'interruption de la danse pour servir les côtelettes, il nous ramena vers la table, avec un « venez ! » non moins enthousiaste que le « heim ? ». Ce fut un déjeuner charmant que ce déjeuner del Carmen de los Siete Suelos, sans compter le soleil qui était assis familièrement à notre table, et une douce brise qui caressait le soleil. Nous avions nos deux Bohémiens, auxquels une bouteille de ce même vin doré qui brillait dans nos carafes avait donné la plus haute opinion de nous, et qui, en reconnaissance du don, accompagnaient notre repas d'une chanson mélodieuse et monotone comme le bruit du ruisseau qui coulait à quatre pas de nous.

A.DUMAS,Impressions de voyage - De Paris à Cadix, 1847.

2 commentaires:

~marion~ a dit…

J'avoue ne jamais avoir fait très attention à tes excursions littéraires mais celle-ci est délicieuse. Philippe vient juste de terminer la relecture des 3 Mousquetaires et que je redécouvrirai bien moi aussi!

MFB a dit…

Un très joli texte, c'est un bonheur de venir te lire Marie-Henriette. Elles sont savoureuses ses impressions de voyage à Monsieur Dumas, et ça donne envie de se plonger dans la suite.
A bientôt,

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