........................Il se répétait, en nouant sa cravate blanche devant sa petite glace: «Il faut que j'écrive à papa dès demain. S'il me voyait, ce soir, dans la maison où je vais, serait-il épaté, le vieux! Sacristi, je ferai tout à l'heure un dîner comme il n'en a jamais fait.» Et il revit brusquement la cuisine noire de là bas, derrière la salle de café vide, les casseroles jetant des lueurs jaunes le long des murs, le chat dans la cheminée, le nez au feu, avec sa pose de Chimère accroupie, la table de bois graissée par le temps et par les liquides répandus, une soupière fumant au milieu, et une chandelle allumée entre deux assiettes. Et il les aperçut aussi, l'homme et la femme, le père et la mère, les deux paysans aux gestes lents, mangeant la soupe à petites gorgées. Il connaissait les moindres plis de leurs vieilles figures, les moindres mouvements de leurs bras et de leur tête. Il savait même ce qu'ils se disaient, chaque soir, en soupant face à face. Il pensa encore: «Il faudra pourtant que je finisse par aller les voir.» Mais comme sa toilette était terminée, il souffla sa lumière et descendit.
Bel-Ami, 1885.
3 commentaires:
Je ne me souviens pas des détails de l'histoire de Bel Ami, lue il y a aumoins 30 ans, mais aujourd'hui, si j'étais lui, je choisirais la soupe a la table des paysans, avec le chat le nez dans la cheminée.
A presto :)
Bel-ami, ce demi-mondain, comme j'enviais son impertinence. Sauf que je n'aurais su faire les concessions (compromissions ?) qu'il a dû faire... Faut savoir ce qu'on veut dans la vie, la fin justifie les moyens, paraît-il... Mais je ne sais toujours pas ce que je veux, et c'est tant mieux, je peux laisser libre court à ma fantaisie, comme le chat avec son nez tout cramoisi (je suppose, si la cheminée était flamboyante !). Henriette, ton blog est vraiment une mine de plaisirs divers et variés, de haut en bas, et je n'ai pas encore tout explorer !
Guy, l'ailurophile, n'oublie pas le chat au menu. Je la connais cette cheminée, il est des fermes ici où l'on pourrait rôtir à plusieurs et le chat s'y réchauffer sans craindre de griller ses moustaches ! Décidément Henriette, après Zola, nous voilà ensemble à célébrer Maupassant !
C'est toujours un régal cette cueillette d'extraits à offrir en partage. Merci !
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