...........Au Moyen-Âge, les épices désignaient bien plus de choses qu'aujourd'hui, non seulement les aromates d'assaisonnement, mais aussi toutes les confiseries, très goûtées alors, et dégustées à table, en général à la fin du repas. Ainsi les dragées, les confitures, les bonbons, les nougats, les massepains, les fruits confits étaient des épices. Tout le problème était d'agrémenter au mieux une cuisine lourde, monotone et fade. On distinguait donc les épices de chambre qu'on avait toujours à portée de la main, même en dehors des repas, et les épices de cuisine qui servaient à relever les mets. Pas de recettes de cuisine sans une quantité incroyable d'épices, selon Taillevent : gingembre, cannelle, girofle, graine de paradis, poivre long, espic, poivre rout, fleur de cannelle, saffran, noix muguette, feuilles de laurier, garingal, mastic, commin... cubèbe, sumac, carvi, fenouil, anis, curcuma, cardamone, muscade et macis. D'ailleurs on épiçait encore à table avec une rape spéciale, l'esmieure en fer blanc, en argent ou en vermeil, selon le train de vie.
..........On consommait donc beaucoup d'épices, elles étaient rares et très chères.Toute l'histoire des grands voyages et des grandes découvertes maritimes du XVI siècle a pour base la recherche d'une route plus commode et moins coûteuse. C'était un luxe peu accessible et offrir des épices une générosité appréciée. On en faisait cadeau aux souverains de passage, aux grands personnages, aux hôtes de marque. C'est ainsi que fut prise l'habitude, normale au début, abusive par la suite, d'en offrir au juge qui avait résolu favorablement un litige. De simples gages de remerciement, les épices devinrent peu à peu, au cours des siècles, un moyen de corruption.
..........Celui qui commença, sans doute, fut cet abbé de Saint-Gilles qui, en 1263, demanda une faveur à Louis le Jeune, en accompagnant son placet d'un cornet d'épices. Cette délicate attention fit école et sous Louis XI, le futur Saint Louis, il s'agissait déjà d'une plaie sociale, puisque le roi dut interdire aux juges de recevoir plus de dix sous d'épices par semaine. Philippe le Bel ne leur permit rien au- delà de ce qu'ils pouvaient consommer journellement, eux et leur famille.
..........Comme tous ces magistrats avides d'épices devaient envier le célèbre et fastueux banquier allemand Fugger, qui offrit un exemple inouï de dilapidation en brûlant une reconnaissance de dette de Charles Quint- ce qui était déjà magnifique- avec un fagot de cannelle!
.........Au XIV siècle, les épices devenant peut-être un peu moins rares- les Croisades étaient passées par là- une coutume plus mauvaise encore s'établit: au lieu d´épices, on donna de l'argent aux juges. On les rétribua dons en espèces sonnantes. Le mot "épices"changea de sens, et espèces signifia dès lors argent dans l'expression "payer en espèces". Avec cette conversion en monnaie, les présents aux magistrats cessèrent d'être un don pour devenir un dû.
André CASTELOT, L'histoire à table, 1972.
3 commentaires:
Muy interesante, me encanta cocinar con especias.
Bisous
Merci Henriette, c'est très intéressant. Et j'aime beaucoup aussi l'aquarelle "Epices aux mille délices". Très colorée, c'est tonifiant !
Passionnant Henriette comme toujours ! Merci pour ce post qui ajoute du sel à mes lectures récentes sur la Gabelle dans le Poitou.
Amitiés
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